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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

mardi 23 juin 2009

Henri Meschonnic

Un grand monsieur, quoique de physique petit et rondouillard, avec cette tête invraisemblable à la Schopenhauer, est décédé récemment. Il est devenu l'auteur d'une œuvre importante, avec un passage bien senti dans le débat autour de Heidegger où il se situait nettement dans l'opposition. Je vais relire, d'ailleurs, bientôt, son livre Le langage Heidegger, (PUF, 1990) pour amener de l'eau au moulin de ma stratégie de contournement.

J'ai repris à la bibliothèque une réédition, format poche, de son énorme livre Critique du rythme, Verdier, 1982, 740p. En hommage, je vais copier un long passage, pris presque au hasard, III, 6. Le sujet est l'individuation, pp. 94 à 96.

---Dans "L'État et le rythme", Mandelstam écrivait en 1920 : "Un homme amorphe, sans forme, un individu inorganisé est le plus grand ennemi de la société". Sans "l'organisation de l'individu", il prévoyait la menace de rester avec le collectivisme sans collectivité" (O. Mandelstam, Collected Works en 3 vol., New York, Inter-Language Literary Associates, t. 3, p. 123). C'est-à-dire sans individus. Cette analyse est politique parce qu'elle vient de la poésie. La poésie fait un révélateur de société, parce qu'un individu y est en jeu, et que là où un individu est en jeu, le social est en jeu. Ce qui ne signifie pas que tout poète est un politique. Un des possibles de la poésie est le sens de la théorie -- qui commence, dans le poète, par le sens de sa propre histoire.

---C'est pourquoi on pourrait soutenir que la société se joue aussi gravement, sinon plus, dans le rapport du poème à la société que dans la critique directe de la société. Le marxisme, la Théorie critique ont montré, par leur régionalisation des problèmes (économismes, sociologisme, politisme), leurs oscillations théoricistes-pragmatiques (fonction de leur incapacité prévisionnelle) que, comme toutes les idéologies politiques, ils continuent d'utiliser les individus pour une représentation de la société, non la société pour les individus. Au mythe des masses correspond le contre-mythe de l'individu.

---Adorno veut ainsi établir que "ce qui parle dans l'art" est "son véritabe sujet, et non celui qui le produit ou le reçoit" (Théorie esthétique, p. 222). Il ne s'agit pas simplement de ne plus le confondre avec le je biographique. Il s'agit de réduire l'individu-confondu-avec-le-sujet au social. Parce qu'en effet le sujet est social. Et que l'individu est censé être l'anti-social, l'incompatible--au lieu que la collectivité n'existe que s'il existe. Mais un romantisme de la masse y est substitué. Stratégie du pouvoir. Puisqu'on parle en son nom : Le travail de l'œuvre d'art est social à travers l'individu, sans que celui-ci ait par là conscience de la société : peut-être d'autant plus qu'il en est moins conscient". Le recours à la conscience, comme notion individualiste d'individu -- manœuvre idéologique plus qu'analyse historienne -- sont deux obstacles à une théorie du langage, et du sujet, en art. On vide l'individu de son intolérable unicité. Pourtant, l'art est l'observatoire, et le laboratoire, qui fait pus que toute pratique sociale apparaître que c'est dans l'individu que se réalise autant le sujet que le social.

---Opposer le sujet au social, ou l'individu au social, est une erreur qui coûte d'abord à la théorie esthétique, ensuite au social. Adorno écrit : "Le sujet individuel, qui toujours intervient, n'est guère plus qu'une valeur limite, qu'un élément minimal dont l'œuvre a besoin pour se cristalliser". De même, l'individu vivant n'est que l'élément minimal dont la vie a besoin pour se réaliser. Cette conception biologise le social : lui retire, et retire au sujet individuel, leur spécificité, qui est leur histoire. L'œuvre y devient une entité métaphysique, douée du plus inexplicable besoin. Le social s'y révêle un mythe, le produit d'un programme rationaliste. Mythe en ce qu'il est mobilisateur, et fait un récit de vérité révélée. L'entité du social est donc ce qui fait, presque, l'œuvre, qui est ainsi présente virtuellement avant de passer, grâce à l'auteur, a l'état final de cristallisation. Où on discerne nettement la confusion, déjà chez Marx, entre conditions sociales de production et production spécifique de l'oeuvre -- confusion porpre au sociologisme : Raphaël dans L'Idéologie allemande. Mélange de téléologie et de scolastique, qui invente un état de l'œuvre avant l'œuvre comme une entité semi-réelle. Mais cette intervention supposée est une invention pour la cause. Le sujet n'intervient pas. Le désir de le réduire, de le limiter à un "élément minimal", rend, ou laisse, à cette intervention tout le mystère qu'il s'agissait, dans ce pseudo-matérialisme, d'analyser en termes historiques. Alors que l'historicité et l'unicité de chaque vie font du sujet individuel une nécessité du social, que l'œuvre figure. Il n'est pas nécessaire d'éliminer l'auteur, pour montrer qu'il est social, historique autant qu'individuel, comme Sartre a montré pour Flaubert, dans le tome III de L'Idiot de la famille. Dans et par l'œuvre, le sujet n'est pas l'individu. Le sujet est l'individuation : le travail qui fait que le social devient l'individuel, et que l'individu peut, fragmentairement, indéfiniment, accéder au statut de sujet, qui ne peut être qu'historique, et social. Comme on accède, indéfiniment, à sa langue maternelle.

---Il est particulièrement important, pour la critique de la société, et du sujet, que les théories de la société sont incapables d'une théorie de la production littéraire et artistique. Elles montrent par cette incapacité leur incapacité d'une conception générale du sujet. Et du langage.

---Les intuitions théoriques des poètes ne désocialisent pas, au contraire, l'individu sujet auteur. Le rythme, le poète, la prophétie sont liés significativement. L'écoute du sujet est autant l'écoute du social que celle de l'histoire. Tout se passe comme si, à l'inverse des rapports de force, les politiques et les théoriciens de la politique avaient peut ;a la fois du poète et de l'individu unique -- le poète étant le représentant, le symbole de ce dernier -- alors que le poète n'a pas peur du social, qui justement l'écrase. Car il ne peut être sujet que s'il est une écoute, il ne peut être une écoute que s'il est le sens le plus fin du social."

Fin de la citation. Je remarque dans la liste des ouvrages de l'auteur, à la fin, qu'il récidive peu avant sa fin, sur le problème Heidegger. Heidegger ou le national essentialisme, Laurence Teper, 2007. À lire bientôt. Encore beaucoup de plaisir en perspective et nous en reparlerons ici.

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