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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

vendredi 28 mai 2010

Le corps comme fil conducteur

Didier Franck explore cette décision dans son livre Nietzsche et l'ombre de Dieu, Épiméthée, P.U.F., Paris 1998, réédité récemment. Nous arrangeons un peu et condensons quelques citations dans les pages 171 à 183.

Novalis: "Art de devenir omnipuissant -- art de réaliser totalement notre volonté. Nous devons maîtriser le corps comme l'âme. Le corps est l'instrument de la formation et de la modification du monde -- Nous devons donc chercher à former notre corps en un organe capable de tout. La modification de notre instrument est la modification du monde."

Solliciter la clôture de la Bible, se risquer à la concevoir comme ouverte, susceptible de métamorphoses, comme un livre à venir -- "mon livre doit être une bible scientifique", dit Novalis qui note également que "les Évangiles contiennent les traits fondamentaux d'évangiles à venir et supérieurs" (Werke,Bd. II, p. 599 et 831) --, revient à prononcer silencieusement la mort de Dieu et à tenter de surmonter le christianisme.

Mais comment est-ce possible et quelle voie emprunter ? Si grâce au Christ, en Christ, notre corps est le temple du Dieu vivant -- "il n'y a qu'un seul temple au moindre et c'est le corps humain. Rien n'est plus saint que cette haute figure", rappelle Novalis --, c'est en élevant la puissance du corps que nous pourrons devenir autres que chrétiens.

Bref, pour élever la puissance du corps et de la volonté en leur ouvrant de nouvelles possibilités et devenir les "poètes de notre vie" (Le gai savoir, § 299; cf. 1885, 35 (45) et 42 (1), § 6.), il faut les penser différemment. Mais puisque le corps volontaire est, nous l'avons montré, le lieu où s'articule la métaphysique grecque et la religion chrétienne, son nouveau concept devra pouvoir répondre de l'une, de l'autre et de leur coïncidence finale.

Nietzsche le savait qui note en 1884: "On est plus riche qu'on ne pense, on a dans la corps de qui faire plusieurs personnes, on tient puor "caractère" ce qui n'appartient qu'à la "personne", à l'un de nos masques. La plupart de nos actes ne viennent pas de la profondeur mais sont superficiels : comme la plupart des éruptions volcaniques : on ne doit pas se laisser tromper par le bruit. Le christianisme a raison en ceci : on peut revêtir l'homme nouveau : certes, et donc encore un nouveau. On se trompe lorsqu'on juge un homme d'après des actes isolés : de tels actes n'autorisent aucune généralisation."

Or, puisque le vieil homme a été crucifié avec le Christ et que l'homme nouveau est ressuscité avec et en lui, c'est, au-delà du baptême, à la résurrection du corps que Nietzsche fait ainsi référence. Annonçant la glorification du corps, le christianisme en a implicitement reconnu la possible pluralité. Après avoir ainsi renoué avec le concept paulinien de corps en tant que pluralité de volontés et ce, notons-le au passage, par delà le concept physique auquel il semblai s'être arrêté, Nietzsche ajoute aussitôt que l'homme nouveau dont parlait saint Paul n'est pas le seul possible.

Quelle que soit la tâche prescrite par la mort de Dieu, en dehors de laquelle l'élévation du corps au rang de fil conducteur demeure au fond inintelligible, est nettement attesté par une note de 1882-1883 : "La dissolution de la morale a pour conséquence pratique l'individu atomisé, voire la dispersion de l'individu en pluralités - Flux absolu. C'est pourquoi un but est maintenant plus que jamais nécessaire et de l'amour, un nouvel amour.

En 1874 Nietzsche remarquait déjà : "Nous vivons la période de l'atome, du chaos atomistique", et en 1881 : "Nous entrons dans l'époque de l'anarchie." La dispersion de l'individu, c'est-à-dire du corps, en une unité fluante, requiert un nouvel amour parce que l'ancien amour, celui de Dieu, en assurait - mais n'en assure plus - l'unité. La dissolution de la morale a pour corrélat celle des corps, et la mort de Dieu rend tout à la fois possible et nécessaire une sur-résurrection au sens même où Nietzsche parle de surhomme, un nouvel amour.

"Je n'ai jamais profané le saint nom de l'amour", déclare-t-il contre le christianisme (1885-1886, 1 (216); cf. 1883, 3 (1), # 148). Notre corps porte alors en lui la mort de Dieu comme l'espérance d'une tout autre gloire et cette proposition, qui n'a rien de nostalgique, exprime l'expérience rigoureuse de la mort de Dieu et de la transvaluation, puisque "toute morale est une habitude de glorification de soi."

C'est après avoir achevé Ainsi parlait Zarathoustra, dont l'éternel retour est la conception fondamentale, au moment d'entreprendre l'œuvre qui, d'abord intitulée La volonté de puissance, puis Transvaluation de toutes les valeurs, aboutira à L'Antéchrist, que Nietzsche assigna au corps la fonction de fil conducteur. Ce simple constat implique que l'élucidation du corps est indissociable de la compréhension conjointe de l'éternel retour, de la volonté de puissance, de la transvaluation des valeurs, c'est-à-dire de l'ultime figure de la pensée nietzschéenne. La première occurrence de l'expression "au fil conducteur du corps" date de 1884.

"Rien de bon, écrit Nietzsche, n'est encore sorti de l'auto-contemplation de l'esprit. C'est seulement maintenant où l'on cherche à se renseigner sur tous les processus spirituels, sur la mémoire par exemple, au fil conducteur du corps, qu'on avance." (1884, 26 (374)). Prendre le corps pour fil conducteur, c'est donc d'abord destituer le Je de cette fonction et tenir l'unité de la conscience, fut-elle synthétique, pour une apparence d'unité. Interroger directement le sujet sur lui-même pour s'enquérir des processus de l'esprit, à même l'image qu'il donne et se donne de soi, c'est donc exclure d'emblée, précipitamment et sans justification "qu'il puisse être utile et important à son activité de s'interpréter faussement." (1885, 40 (21)

Destitution de la conscience.

Cela est d'autant plus nécessaire que les nouvelles possibilités, dont nous sommes en quête, devront répondre, et du recouvrement de la philosophie par la religion révélée, et du dépassement de celui-ci. Si tel n'était le cas, jamais Nietzsche n'aurait pu annoncer que "les poètes ont encore à découvrir les possibilités de la vie, l'orbite stellaire leur est ouverte, et non une Arcadie ou une vallée de Campanie : une imagination infiniment audacieuse, appuyée sur les connaissances de l'évolution animale est possible. Toute notre poésie est si terre à terre et petite-bourgeoise, la grande possibilité d'hommes supérieure fait encore défaut. C'est seulement après la mort de la religion que l'invention du divin pourra redevenir luxuriante." (1880, 6 (359)).

L'unité, mieux, "l'unification" (1885-1886, 1 )(172)), subjective que nomme le corps ne saurait provenir que des rapports qu'entretiennent la pluralité de ses constituants puisque "ce sont d'abord les relations qui constituent les êtres." (19888, 14 (122)). Aussi convient-il de préciser quels sont ces êtres vivants qui forment le corps. Nietzsche en a décrit la pluralité sous divers titres dont nous devons faire l'inventaire. Pluralité d'esprits : "Dans l'homme, habitent autant d'esprits qu'il y a d'animaux de mer - ils luttent avec les autres pour l'esprit "Je" : ils l'aiment et veulent qu'il se mette sur leur dos, ils se haïssent les uns les autres à cause de cet amour." (1882-1883, 4 (207)) Pluralité de pulsions : /"Au contraire de l'animal, l'homme a cultivé en lui une abondance de pulsions et d'impulsions antagonistes : grâce à cette synthèse il est le maître de la terre." (1884, 27 (59)) Pluralité de forces : "L'homme est une pluralité de forces qui se situent dans une hiérarchie, en sorte qu'il y en a qui commandent mais que celles qui commandent doivent aussi créer, pour celles qui obéissent, tout ce qui sert à leur conservation, si bien qu'elles-mêmes sont conditionnées par l'existence de ces dernières. Tous ces êtres vivants doivent être d'espèce apparentée sans quoi ils ne sauraient ainsi servir et obéir les uns aux autres"(1885, 34 (123); cf. 1882-1883, 4 (189)) Pluralité d'âmes : "Notre corps n'est pas autre chose qu'une société d'âmes multiples." (Par-delà le bien et le mal, § 19. Il s'agit d'âmes mortelles; cf. 1885, 40 (8) et (42) Pluralité de volontés de puissance: "L'homme en tant qu'une pluralité de "volonté de puissance" : chacune avec une pluralité de moyens d'expression et de formes." (1885-1886, 1 (58))

Il ressort de ces multiples dénominations que l'unité du corps, qui est toujours celle d'une hiérarchie antagoniste, ne doit pas être pensée comme un état ou un être, mais comme un événement ou un devenir.

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