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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

samedi 29 mai 2010

Mais le corps...

Mais le corps ne pourrait assumer cette fonction de fil conducteur sans que la volonté de puissance soit le principe et la condition de possibilité de l'incorporation. Si vouloir, c'est commander -- telle en est la détermination première -- et si « la trinité "penser, sentir, vouloir" » (1885, 38 (8); il s’agit d’une première version du § 19 de Par-delà le bien et le mal.) – trinité traditionnellement constitutive de l’âme --, implique le corps comme cette formation de domination qui est le siège nécessaire de son exercice. La trinité « penser, vouloir, sentir » ne renvoie donc plus à des facultés distinctives – « il n’y a pas trois facultés de l’âme » (1885, 40 (39)) – mais est propre à la force en tant que telle. Et après avoir affirmé que la croyance à une âme « indestructible, éternelle, indivisible, doit être exclue de la science », Nietzsche ajoutera qu’ « il n’est absolument pas nécessaire de se débarrasser simultanément de "l’âme" elle-même, et de renoncer à une des hypothèses les plus anciennes et des plus vénérables, maladresse qu’ont coutume de commettre les naturalistes qui perdent "l’âme" dès qu’ils y touchent. La voie en effet est ouverte à de nouvelles conceptions, à de nouveaux raffinements de l’hypothèse de l’âme. Des concepts comme ceux d’ « âme mortelle », d’ « âme en tant que pluralité-sujet» et d’ « âme en tant que société de pulsions et d’affects » réclament désormais le droit de cité dans la science» (Par-delà le bien et le mal, § 12; cf. 1884, 25 (7)). Résumant toute cette analyse de la volonté, Nietzsche peut alors en conclure que « celui qui veut ajoute au sentiment de plaisir propre au commandement, les sentiments de plaisir propres aux organes qui exécutent avec succès, les "sous-volontés" ou sous-âmes de service – car notre corps n’est pas autre chose qu’une société d’âmes multiples. […] Dans tout vouloir, il s’agit simplement de commander et d’obéir sur la base, comme on l’a dit, d’une société d’ « âmes multiples » (Id., § 19). Le corps est donc bien requis par la volonté de puissance comme la structure cardinale de son déploiement, et il faut rappeler, même si ce n’est là qu’une confirmation philologique, c’est-à-dire extérieure, qu’à l’époque où il commençait à reconnaître dans la volonté de puissance l’essence de la vie et « l’ultime fait auquel nous parvenons » (1885, 40 (61), Nietzsche a noté : « Je ne conçois qu’un être qui, à la fois, est un et pluriel, change et demeure, connaît, sent, veut – cet être, c’est mon fait originaire. » À ce moment, seul manquait le mot de « corps ».

vendredi 28 mai 2010

Le corps comme fil conducteur

Didier Franck explore cette décision dans son livre Nietzsche et l'ombre de Dieu, Épiméthée, P.U.F., Paris 1998, réédité récemment. Nous arrangeons un peu et condensons quelques citations dans les pages 171 à 183.

Novalis: "Art de devenir omnipuissant -- art de réaliser totalement notre volonté. Nous devons maîtriser le corps comme l'âme. Le corps est l'instrument de la formation et de la modification du monde -- Nous devons donc chercher à former notre corps en un organe capable de tout. La modification de notre instrument est la modification du monde."

Solliciter la clôture de la Bible, se risquer à la concevoir comme ouverte, susceptible de métamorphoses, comme un livre à venir -- "mon livre doit être une bible scientifique", dit Novalis qui note également que "les Évangiles contiennent les traits fondamentaux d'évangiles à venir et supérieurs" (Werke,Bd. II, p. 599 et 831) --, revient à prononcer silencieusement la mort de Dieu et à tenter de surmonter le christianisme.

Mais comment est-ce possible et quelle voie emprunter ? Si grâce au Christ, en Christ, notre corps est le temple du Dieu vivant -- "il n'y a qu'un seul temple au moindre et c'est le corps humain. Rien n'est plus saint que cette haute figure", rappelle Novalis --, c'est en élevant la puissance du corps que nous pourrons devenir autres que chrétiens.

Bref, pour élever la puissance du corps et de la volonté en leur ouvrant de nouvelles possibilités et devenir les "poètes de notre vie" (Le gai savoir, § 299; cf. 1885, 35 (45) et 42 (1), § 6.), il faut les penser différemment. Mais puisque le corps volontaire est, nous l'avons montré, le lieu où s'articule la métaphysique grecque et la religion chrétienne, son nouveau concept devra pouvoir répondre de l'une, de l'autre et de leur coïncidence finale.

Nietzsche le savait qui note en 1884: "On est plus riche qu'on ne pense, on a dans la corps de qui faire plusieurs personnes, on tient puor "caractère" ce qui n'appartient qu'à la "personne", à l'un de nos masques. La plupart de nos actes ne viennent pas de la profondeur mais sont superficiels : comme la plupart des éruptions volcaniques : on ne doit pas se laisser tromper par le bruit. Le christianisme a raison en ceci : on peut revêtir l'homme nouveau : certes, et donc encore un nouveau. On se trompe lorsqu'on juge un homme d'après des actes isolés : de tels actes n'autorisent aucune généralisation."

Or, puisque le vieil homme a été crucifié avec le Christ et que l'homme nouveau est ressuscité avec et en lui, c'est, au-delà du baptême, à la résurrection du corps que Nietzsche fait ainsi référence. Annonçant la glorification du corps, le christianisme en a implicitement reconnu la possible pluralité. Après avoir ainsi renoué avec le concept paulinien de corps en tant que pluralité de volontés et ce, notons-le au passage, par delà le concept physique auquel il semblai s'être arrêté, Nietzsche ajoute aussitôt que l'homme nouveau dont parlait saint Paul n'est pas le seul possible.

Quelle que soit la tâche prescrite par la mort de Dieu, en dehors de laquelle l'élévation du corps au rang de fil conducteur demeure au fond inintelligible, est nettement attesté par une note de 1882-1883 : "La dissolution de la morale a pour conséquence pratique l'individu atomisé, voire la dispersion de l'individu en pluralités - Flux absolu. C'est pourquoi un but est maintenant plus que jamais nécessaire et de l'amour, un nouvel amour.

En 1874 Nietzsche remarquait déjà : "Nous vivons la période de l'atome, du chaos atomistique", et en 1881 : "Nous entrons dans l'époque de l'anarchie." La dispersion de l'individu, c'est-à-dire du corps, en une unité fluante, requiert un nouvel amour parce que l'ancien amour, celui de Dieu, en assurait - mais n'en assure plus - l'unité. La dissolution de la morale a pour corrélat celle des corps, et la mort de Dieu rend tout à la fois possible et nécessaire une sur-résurrection au sens même où Nietzsche parle de surhomme, un nouvel amour.

"Je n'ai jamais profané le saint nom de l'amour", déclare-t-il contre le christianisme (1885-1886, 1 (216); cf. 1883, 3 (1), # 148). Notre corps porte alors en lui la mort de Dieu comme l'espérance d'une tout autre gloire et cette proposition, qui n'a rien de nostalgique, exprime l'expérience rigoureuse de la mort de Dieu et de la transvaluation, puisque "toute morale est une habitude de glorification de soi."

C'est après avoir achevé Ainsi parlait Zarathoustra, dont l'éternel retour est la conception fondamentale, au moment d'entreprendre l'œuvre qui, d'abord intitulée La volonté de puissance, puis Transvaluation de toutes les valeurs, aboutira à L'Antéchrist, que Nietzsche assigna au corps la fonction de fil conducteur. Ce simple constat implique que l'élucidation du corps est indissociable de la compréhension conjointe de l'éternel retour, de la volonté de puissance, de la transvaluation des valeurs, c'est-à-dire de l'ultime figure de la pensée nietzschéenne. La première occurrence de l'expression "au fil conducteur du corps" date de 1884.

"Rien de bon, écrit Nietzsche, n'est encore sorti de l'auto-contemplation de l'esprit. C'est seulement maintenant où l'on cherche à se renseigner sur tous les processus spirituels, sur la mémoire par exemple, au fil conducteur du corps, qu'on avance." (1884, 26 (374)). Prendre le corps pour fil conducteur, c'est donc d'abord destituer le Je de cette fonction et tenir l'unité de la conscience, fut-elle synthétique, pour une apparence d'unité. Interroger directement le sujet sur lui-même pour s'enquérir des processus de l'esprit, à même l'image qu'il donne et se donne de soi, c'est donc exclure d'emblée, précipitamment et sans justification "qu'il puisse être utile et important à son activité de s'interpréter faussement." (1885, 40 (21)

Destitution de la conscience.

Cela est d'autant plus nécessaire que les nouvelles possibilités, dont nous sommes en quête, devront répondre, et du recouvrement de la philosophie par la religion révélée, et du dépassement de celui-ci. Si tel n'était le cas, jamais Nietzsche n'aurait pu annoncer que "les poètes ont encore à découvrir les possibilités de la vie, l'orbite stellaire leur est ouverte, et non une Arcadie ou une vallée de Campanie : une imagination infiniment audacieuse, appuyée sur les connaissances de l'évolution animale est possible. Toute notre poésie est si terre à terre et petite-bourgeoise, la grande possibilité d'hommes supérieure fait encore défaut. C'est seulement après la mort de la religion que l'invention du divin pourra redevenir luxuriante." (1880, 6 (359)).

L'unité, mieux, "l'unification" (1885-1886, 1 )(172)), subjective que nomme le corps ne saurait provenir que des rapports qu'entretiennent la pluralité de ses constituants puisque "ce sont d'abord les relations qui constituent les êtres." (19888, 14 (122)). Aussi convient-il de préciser quels sont ces êtres vivants qui forment le corps. Nietzsche en a décrit la pluralité sous divers titres dont nous devons faire l'inventaire. Pluralité d'esprits : "Dans l'homme, habitent autant d'esprits qu'il y a d'animaux de mer - ils luttent avec les autres pour l'esprit "Je" : ils l'aiment et veulent qu'il se mette sur leur dos, ils se haïssent les uns les autres à cause de cet amour." (1882-1883, 4 (207)) Pluralité de pulsions : /"Au contraire de l'animal, l'homme a cultivé en lui une abondance de pulsions et d'impulsions antagonistes : grâce à cette synthèse il est le maître de la terre." (1884, 27 (59)) Pluralité de forces : "L'homme est une pluralité de forces qui se situent dans une hiérarchie, en sorte qu'il y en a qui commandent mais que celles qui commandent doivent aussi créer, pour celles qui obéissent, tout ce qui sert à leur conservation, si bien qu'elles-mêmes sont conditionnées par l'existence de ces dernières. Tous ces êtres vivants doivent être d'espèce apparentée sans quoi ils ne sauraient ainsi servir et obéir les uns aux autres"(1885, 34 (123); cf. 1882-1883, 4 (189)) Pluralité d'âmes : "Notre corps n'est pas autre chose qu'une société d'âmes multiples." (Par-delà le bien et le mal, § 19. Il s'agit d'âmes mortelles; cf. 1885, 40 (8) et (42) Pluralité de volontés de puissance: "L'homme en tant qu'une pluralité de "volonté de puissance" : chacune avec une pluralité de moyens d'expression et de formes." (1885-1886, 1 (58))

Il ressort de ces multiples dénominations que l'unité du corps, qui est toujours celle d'une hiérarchie antagoniste, ne doit pas être pensée comme un état ou un être, mais comme un événement ou un devenir.

mardi 18 mai 2010

When China rules the world...

The Maoist period involved the politicization of more or less the whole society. The old Maoist slogan of ‘politics in command’ aptly summed up the nature of Communist rule until Mao’s death in 1976, with its constant calls for mass campaigns, symbolized most dramatically by the Cultural Revolution. In contrast, during the reform era there has been a steady process of depoliticization, accompanied by a steep decline in the importance of ideology. The highly politicized and obstrusive Maoist state has given way to what now looks more like a technocratic state, in the manner of other East Asian developmental states, although the power of the Chinese state remain wide-ranging, from the one-child policy and internal migration to history books and media. As the Party has shifted from ideological to instrumental rule, from a political to a technocratic approach, its relationship with the people has become less intrusive. There is, in effect, a new kind of social contract between the Party and the people: the task of the Party is to govern, while the people are left to get on with the business of transforming their living standard. Far from interesting themselves in politics, people have increasingly retreated into a private world of consumption. Money making, meanwhile, has replaced politics as the most valued and respected form of social activity, including within the Party itself. The Party has actively encouraged its officials to enter business, not least as a means of galvanizing and mobilizing society. ‘Political loyalty’ has in some degree been replaced by ‘money’ as the measure of the political worth of Party cadres, resulting in a decline in the Party’s identity, a loss of its spiritual appeal and a process of internal decay.
The Party has increasingly sought to transform itself from a revolutionary organization into a ruling administrative party. It prioritizes technical competence, entrepreneurship and knowledge over, as previously, revolutionary credentials, military record and class background, with a technocratic class rather than revolutionaries now in charge of the Party. There have been drastic changes in the social composition of the Party leadership over the last twenty years. Between 1982 and 1997 the proportion of the central committee who were college-educated rose from 55.4 per cent to 92.4 per cent. By 1997 all seven members of the standing committee of the central committee’s political bureau (the top leadership) were college-educated in technical subjects like engineering, geology and physics, while eighteen of the twenty-four political bureau members were also college-educated. The Party has opened its doors to the new private capitalists in an effort to widen its representativeness and embrace the burgeoning private sector. By 2000 20 per cent of all private entrepreneurs were members of the Party. This is not surprising given that by 1995 nearly half of all private capitalists had previously been Party and government officials. The large-scale shift of Party and government officials into the private sector has almost certainly been the biggest single reason for the enormous increase in corruption, as some of them exploited their knowledge and connections to appropriate state property, gain access to cash reserves, and line their own pockets. The problem poses a grave challenge to the Party because, if unchecked, it threatens to undermine its moral standing and legitimacy. Despite a series of major, high-profile campaigns against corruption, of which the most prominent casualty so far has been the former Communist Party chief in Shanghai, Chen Liangyu, the evidence suggests that the problem remains huge and elusive because it roots lie deep within the Party itself and the myriad of guanxi connections.
As the country gravitates towards capitalism, changes are also taking place in China’s class structure that are bound, in the longer term, to have far-reaching political implications. For the time being, however, the technocratic leadership will continue to dominate both the Party and the government, with little immediate prospect of a challenge to their position. The peasantry, though increasingly restive in response to the seizure of their land, remain weak and marginalized. The working class has seen a serious diminution in its status and influence, with its protests limited to piecemeal, factory-by-factory action. The new class of private entrepreneurs, meanwhile, seems to be conforming to the traditional role of merchants, seeking an accommodation with, and individual favours from, the government, rather than an independent role of its own.
In the longer run there are four possible political directions that Chinese politics might take. The first is towards a multi-party system. This, for the time being, seems the least likely. The second would be the de facto recognition of factions within the Party. To some extent this process has, at least tacitly, been taking place, with former general secretary Jiang Zemin’s power base resting on what came to be known as the Shanghai faction, who were associated with super-growth, privatization, pro-market policies and private entrepreneurs, in contrast to Hu Jintao’s constituency, which has given greater priority to sustainable growth, social equality, environmental protection, and state support for education, health and social security. The third would be reforms designed to instill more life and independence into the People’s Congress and the People’s Consultative Conference, which are state rather than Party institutions. If all three of these directions were followed, they would result in an outcome not dissimilar from that in Japan, where there is a multi-party system in which only one party matters, where the various factions within the Liberal Democrats count for rather more than the other political parties, and where the diet enjoys a limited degree of autonomy. Another possible scenario, in this same context, is that of Singapore – in those arrangements Deng Xiaoping showed some interest – where the ruling party dominates an ostensibly multi-party system, with the opposition parties dwarfed, harassed and hobbled by the government. The fourth direction, which had been advocated by the Chinese intellectual Pan Wei, puts the emphasis on the rule of law rather than democracy, on how the government is run rather that who runs it, with state officials required to operate according to the law with legal forms of redress if they do not, and the establishment of a truly independent civil service and judiciary, a proposal which, overall, bears a certain similarity to governance in Singapore and Hong Kong. Should this route be pursued then it would mark a continuing rejection of any form of democratic outcome and an affirmation of a relatively orthodox Confucian tradition of elitest government committed to the highest ethical standards.
None of these scenarios seems particularly imminent. For the foreseeable future the most likely outcome is a continuation of the process of reform already under way, notwithstanding the growing problems of governance consequent upon social unrest and chronic corruption. The worst-case scenario for both China and the world would be the collapse and demise of the Communist Party in the manner of the Soviet Union, which had a disastrous effect on Russian living standards for over decade. The ramifications, nationally and globally, of a similar implosion in China, which has a far bigger population, a much larger economy and is far more integrated with the outside world, would be vastly greater. A period of chaos would threaten the country’s stability, usher in a phase of uncertainty and conflict, threaten a premature end to its modernization, and potentially culminate in return to one of China’s periodic phase of introspection and division. The best prospect for China, and the world, is if the present regime continues to direct the country’s transformation on a similar basis of reform and mutation until such time as there can be a relatively benign transition to a different kind of era. Given China’s huge success over the last thirty years, this remains by far the most likely scenario.


Citation from When China Rules the World, - The Rise of the Middle Kingdom and the end of the Western World, by Martin Jacques, pp. 224 to 227.