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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

vendredi 25 février 2011

uchronie : introduction à mon commentaire


Pendant que le monde cogne à ma porte en ces temps de transition et de changement j'ai jonglé avec plusieurs manières d'approche d'un sujet délicat et parce que complexe en même temps que subtil : difficile !

Il s'agit de rendre justice à ce grand chef-d'œuvre de la littérature universelle qu'est ce pauvre petit roman, en apparence, à l'allure chétive mais qui est en fait une perle (une de plus!) cachée dans l'écrin aux sombres recoins de l'œuvre complète d'imagination de ce grand écrivain, comparable aux plus grands mais qui n'a réussi à se faire valoir "que" dans le domaine réhabilité pourtant depuis longtemps de la science-fiction.

Pour moi la cause est entendue : je révère cet auteur préféré et je le considère à la hauteur des plus grands, sur des hauteurs similaires en fait à un Dostoïevski, voire Shakespeare. En même temps je sais que cela n'apparaît pas évident pour beaucoup. Alors, ceux qui comprennent vraiment de quoi il s'agit n'ont pas besoin de grands arguments pour se convaincre, mais pour les autres, il est très difficile il me semble de leur faire voir la lumière. C'est un peu un paradoxe : comment chanter les mérites de la lumière comme jusqu'au point de la "faire voir" aux aveugles ?

Mais il y a plusieurs sortes d'aveuglement. Pour les sophistes, les hypocrites, tous ceux qui sont de mauvaise foi, je ne peux rien, je sais que c'est vain et donc pour eux je ne veux pas perdre mon temps. C'est pour les autres, ceux qui voudraient bien comprendre, qui ressentent un malaise, ont de vagues suspicions, et parce qu'il leur manque des éléments nécessaires à la pleine compréhension : pour eux je veux consentir à un effort raisonnable ou conséquent.

À ceux-là, je leur dit : "Oui, prenez votre malaise comme fil conducteur. Interrogez-vous, sur le problème et sur vous-mêmes. Ne vous hâtez pas de condamner ce que vous ne comprenez pas entièrement, et oui, s.v.p., faites l'effort d'y revenir, en gardant l'esprit ouvert, remettez le problème sur le métier." À ces lecteurs de bonne foi je vais tenter d'expliquer, mentionnant peut-être des aspects qui leur auraient échappés ou des éléments qui leur manquent.

C'est dans cet esprit que je démarre avec une thèse volontairement provocatrice : si vous n'appréciez pas ce livre, Le maître du Haut Château / The Man in the High Castle comme un chef-d'œuvre, c'est que vous ne comprenez pas vraiment, au fond, de quoi il s'agit. J'en fait un article de foi pour moi : si je me trompe, je vais en enfer.

Je n'ai jamais vu une argumentation solide et fondée condamnant ce texte de la part de quelqu'un qui aurait manifesté une véritable compréhension de ses enjeux. Eh... malheureusement, cela n'est pas immédiatement à la portée de tout le monde, quoique... Mais je le répète, le lecteur de bonne foi ressent comme un malaise. Il s'interrogera au moins avant d'en disposer. Le lecteur de mauvaise foi détestera et s'empressera de rejeter. De peur, dirais-je, de jeter un coup d'œil sur son cloaque intérieur.

Parce que c'est une œuvre révélante. Révélante pas seulement riche en aperçus sur le monde mais révélante aussi de la nature de celui qui regarde le monde. À la fin je crois qu'il faut reconnaître que c'est un roman philosophique. Au début de la lecture on ne dirait pas ça. Les personnages, la situation, sont introduits par petites touches et c'est pourquoi j'ai toujours dit que ce livre était un grand chef-d'œuvre impressionniste. Monet, Manet, Gauguin, Van Gogh, cela vous dit quelque chose ? Ou Mahler, Brahms... ?

C'est d'amour qu'il s'agit, et du rapport à l'Être. Il y a une esthétique en jeu, mais elle se fait modeste ici car elle est au service, on le voit finalement, du "message". Cependant ce "message" comme on dit, n'est pas une simple thèse. Il est ouverture infinie (indéfinie?) sur l'Être. "Oh Grand Être!" disait Jean-Jacques (Rousseau, bien sûr).

À suivre...

référence : http://rsfblog.canalblog.com/archives/2011/01/29/20220833.html
(je ne comprends pas pourquoi je ne parviens pas à introduire ce lien comme actif sur ce blog, ni sur mes autres sur WordPress, d'ailleurs... j'y travaille! En attendant je le donne en pâture au copier-coller)

mercredi 23 février 2011

Fleurs de Chine

Je sens déjà venir les prémisses du printemps, les températures se réchauffent par moment. Le soleil se lève avant les sept heures du matin maintenant, je me réveille dans la lumière... Bien sûr le froid s'accroche, quitte et revient précipitamment. Il n'est pas rare de vivre l'équivalent thermique de trois saisons en une seule journée... Mais il n'est pas encore temps de sortir ma bicyclette. Alors en attendant, je reste chez moi à explorer des univers quelquefois étrangers.

Je veux parler aujourd'hui d'un livre qui m'a beaucoup ému. Fleurs de Chine de Wei Wei, une merveille de roman en morceaux. Les chapitres narrant les histoires de vie d'autant de femmes, diverses, de Chine, portant chacune le nom d'une fleur. J'ai souvent pleuré.

Wei Wei est est née au Guangxi, dans le sud de la Chine, donc, en 1957, soit un peu avant la grande famine qui est venue sanctionner la politique catastrophique de la période dite du "grand bond en avant". Elle a subi la "révolution culturelle" en rééducation à la campagne mais après des études de français, elle a réussi à aller vivre à Paris, puis ensuite en Angleterre, près de Manchester. Elle persiste à écrire en français, et avec, je dirais, un talent éblouissant.

Mais ce ne sont pas les grands effets de styles qui m'ont retenu dans ce livre. Humble toute entière l'écriture se met au service du dévoilement de ses personnages. Ceux-ci, des femmes de Chine, présentées à différentes époques de leur vie et dans le contexte de la situation globale souvent tourmentée de cette torturante histoire de la Chine au vingtième siècle, prennent vie sous nos yeux et leur cœur nous est révélé, dans son ingénuité mais aussi dans son incroyable résilience et l'émotion est toujours poignante, du moins pour moi, qui me veut ami de la Chine mais surtout amoureux de ces femmes de Chine, qui sont à mes yeux les plus désirables du monde.

Ma participation à ce livre, par une empathie intense, a certainement été aidée par l'expérience de quelques histoires d'amour avec mes correspondantes de l'autre bout du monde. J'ai aussi apprécié l'habileté de la construction du livre composé de ces divers récits. Magnolia, enfant-fleur du plateau de Lœss, berceau de la Chine antique, à la recherche de sa sœur, amoureuse ayant fui avec son amant le village aux conventions traditionnelles, soit étouffantes, une contrainte matrimoniale viscéralement insupportable, cette petite sœur nous apprend que le fameux dragon, rutilant de toutes ses écailles, est le Fleuve Jaune lui-même, finalement, qui charrie le riche limon de ce grenier où l'on cultive, au prix d'un très dur travail, le riz pour nourrir une immense population. C'est la source de la vie de tout un peuple, mais aussi l'esprit descendu sur les eaux, le reflet, quelque part, de la volonté même du Ciel.

Ketmie, tout à tour fleur-solitude quand elle peine à se libérer d'un mariage devenu indifférent, fleur-liberté lorsqu'elle s'invente une autre vie, fleur voyageuse, fleur-errante et fleur-cerf-volant lorsqu'elle déploie ses ailes, constitue un lien entre toutes ces histoires. Elle les a recueillies et commentées, sur la trace des drames du passé, de joies aussi, oh, inexplicable joie! en tant que photographe et journaliste, écrivaine finalement, qui est comme un reflet de l'auteur.

Chrysanthème, fleur-soldat de l'Armée rouge qui se compte au nom des rares survivants parmi ceux qui entreprirent la Longue Marche, nous fait partager son calvaire, les péripéties ultérieures aussi, puis la difficile rédemption, et enfin la vieillesse...

Gardénia illustre les conditions, exécrables, bien sûr de détention du tout venant lors de la révolution culturelle et jusqu'en 1973, après cinq ans sans jamais avoir été jugée, puisque emprisonnée pour une vétille, comme beaucoup d'autres en ce temps-là. Les familles détruites, les fils que l'on tente, après la catastrophe, la longue souffrance, de renouer. "La vie continue, vous voyez, malgré tout." (p. 170)

Armoise, la vieille tante, qui avait été une enfant ramassée sur le bord de la route, sauvée par une famille qui avait perdu les siens... et les obscures vois du désir. Orchidée la marchande d'âge mûr, elle aussi contemplant son passé, et philosophant sans le savoir, la simple sagesse, grave, d'une vie vécue, dans les tourmentes de la grande histoire où les personnes balayées comme des fétus de paille tentent simplement de s'accrocher :

Je m’assieds sur une pierre grise. Le vent embaumé d’encens me caresse le visage et les bras nus. Il y a toujours du vent ici. C’est très agréable. À travers les troncs bruns des pins je peux voir la colline d’en face. Ses versants sont recouverts d’une végétation touffue, son sommet est dominé par une pagode à neuf étages. Je viens ici une fois tous les deux ou trois mois, quand j’en ai marre des bruits et des odeurs de la ville. J’aimerais pouvoir venir plus souvent. Du temple s’exhale toujours une paix indescriptible, et ces moments de calme me sont indispensables à la décantation des choses de la vie. Non, je ne m’attendais pas à rencontrer Lusheng aujourd’hui. Mais avoir parlé avec elle m’a permis de mettre derrière moi un passé pénible, de tourner cette page, définitivement. Oui, j’ai été réhabilitée en 1978. On m’a rendu ma carte de membre du Parti. Je l’ai encore. Mais ce n’est plus par conviction. J’ai cru jeune à la cause communiste, sincèrement, naïvement, passionnément. J’ai vécu pour elle. Je n’y crois plus. Justice sociale, je travaille pour tous et tous pour moi, pas de faim, pas de misère, études gratuites, soins médicaux gratuits, enfance protégée, vieillesse soutenue, chacun sa place dans la société, tout le monde égal, tout le monde riche, tout le monde heureux… Tout cela est très beau. tout cela est très noble. Mais à l’usage, ce n’est pas du tout la même chose. Peut-être que c’est trop beau. Peut-être que c’est trop noble pour la nature humaine. Je ne sais pas. Je n’y crois plus. Je viens régulièrement brûler de l’encens au temple, mais ça, c’est peut-être moins par conviction que par un besoin impératif. Quand tout s’écroule autour de moi, je m’accroche au bras compatissant de Bouddha, par instinct de survie. comme on s’accroche à tout ce qu’on peut dans un naufrage. Je ne pense pas que je crois vraiment à une vie future après la mort, à un recommencement au-delà de la fin. En approchant de mes soixante-dix ans, je recherche plutôt une sagesse pour mieux vivre la vie qu’il me reste encore à vivre. Pour être en paix à l’intérieur de moi-même. Bref, pour être bien dans ma peau, et dans mon cœur.


Cela n’a l’air de rien, mais je pourrais souscrire à presque tout ce qui est énoncé ici. Seule la croyance est différente. Je me fais une religion influencée principalement par l’hindouisme rénové par Aurobindo. Du bouddhisme je retiens surtout certaines pratiques méditatives et un sens aigu du néant. Les deux courants considèrent que notre réalité n’est qu’une forme particulièrement endurante et comme solide d’illusion. Il faudrait s'en libérer...

Jasmin nous dit : "J'ai épousé Ming parce qu'il m'avait violée. Incroyable ? Mais c'était comme ça." Délaissée par son mari, elle gagnera beaucoup d'argent à la Bourse et trouvera un amant Anglais et le courage de divorcer. Azalée et Qihui, des histoires tragiques et inoubliables.

À la fin le dragon, omniprésent qui plane sur tous ces gens, est un cerf-volant qui s'envole :

Soudain le dragon se met à grimper en mugissant. Tu t'arrêtes, à bout de souffle, au bord de l'eau. Le moulinet tourne et tourne fébrilement dans tes mains, tandis que le dragon s'élève de plus en plus haut. tu te cramponnes au moulinet contre la terrible force de l'animal qui, furieux d'être retenu, tire le fil par saccades brutales.
Tu lèves la tête et regardes. Arrosé de la lueur prodigieuse de la lune et voguant entre les étoiles, voilà le dragon, triomphant, impérial, épanoui dans toute sa gloire. Tu es bouleversée. Jamais tu n'as rien vu de plus beau.
Fen Fen et Vieux Lin viennent s'arrêter près de toi, haletants, excités.
Vieux Lin sort le canif de sa sacoche, et, d'un coup sec, coupe le fil.
Va! dit-il d'une voix pleine de tendresse.
Le dragon s'élance. Il vole contre le vent, il danse, il secoue sa tête orgueilleuse.
Suffocant d'émotion, tu le suis du regard. Dans un instant, le dragon sera hors de vue. Non. Il ralentit. Il amorce un demi-tour. Il reprend de la vitesse et, braquant vers la terre, fonce droit sur toi.
Tu ne respires plus. Tu entends ton cœur galoper comme un cheval débridé.
Une seconde plus tard, le dragon passe à quelques centimètres au-dessus de ta tête, effleurant tes cheveux de sa longue gueule béante, te fait tressaillir. De longues minutes durant, le dragon riant plane au-dessus de ton visage tendu, puis, tout à coup, il secoue ses reins et darde à nouveau vers le firmament.
Emporte toutes nos maladies ! crie Vieux lin. Emporte tous nos malheurs !
Emporte toutes nos maladies ! répétez Fen Fen et toi. Emporte tous nos malheurs !
Le dragon vole vers le zénith. Il s'éloigne avec une telle rapidité qu'il devient bientôt un petit point sombre. C'est alors qu'un formidable grondement de tonnerre se fait entendre. La voûte profonde semble remuer. On dirait un tremblement de ciel."

Wei-Wei, Fleurs de Chine, éditions de l'aube, 2001, 505p.