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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

dimanche 28 juin 2009

Heidegger

Heidegger, ce "grand penseur", est aussi et peut-être plus essentiellement, un grand sensitif. C'est-à-dire plus déjà qu'un être très sensible. Il sentait et voyait venir les choses de loin. Mais il a eu... nous ne disons pas la chance : le destin de vivre quelque chose d'exceptionnel : une époque. Et quelle époque ! Celle des décisions radicales et des tentatives marquantes.

Nous n'aurions pas eu le même Heidegger sans le nazisme. Meilleur, pire ? C'est à chercher dans les univers parallèles... autant dire : je ne sais pas. Grand destin, petits effets. Heidegger, remarquable professeur, apprend à lire et à penser. Mais il se cache et ne permet pas d'accéder à la décision.

Sartre disait quelque part (dans la revue Combat, en 1946 -trouver la référence exacte-) que Heidegger manquait de caractère. Il voulait dire, sans doute (il faudrait retrouver le contexte), de courage physique. Parce qu'il n'osa pas s'opposer explicitement, à la machine en effet implacable, effroyable. Ce qui aurait été de s'offrir en sacrifice, clairement.

Mais Sartre, lui, ne manquait pas de caractère. Peut-être un peu plus de discrétion... Heidegger sut, dut, pour sauver sa peau, pour survivre et passer au travers des années de plomb puis de l'écrasement complet de l'Allemagne sous les bombes, et les famines, détresses qui s'ensuivirent, ruser.

Sans doute une grande part de la stratégie institutionnelle et intellectuelle de monsieur Martin Heidegger a eu pour motif, toutes antennes dehors, de le mettre à l'abri de la menace physique et même pire, que faisait sur lui peser le massacre.

Avait-il le choix ? Bonne question. Comparativement Sartre est une grande gueule et il n'aurait pas fait long feu, disons, à sa place. La place est importante, et le temps, et l'époque, en plus de la dis-position : caractère, humeurs, dispositions : stimmung.

Il fallait un esprit en retrait, qui survive, appréhende et rende compte, contourne et dépasse le phénomène exorbitant du fascisme nazi, un modèle du genre qui de cesse d'inspirer des épigones. Un univers de complicités... savoir, ne pas savoir ; l'intelligence devine. La décision dans l'action est un pari. D'une manière ou d'une autre, les effectifs seront détruits : Life finds a way mais par des chemins détournés.


Le nom d'Allah et le Coran est un gros pari levé sur la langue arabe. Heidegger, lui, parie sur l'allemand. Il ne concède que du bout des lèvres qu'il soit possible, aussi, de penser en français. Mais une grande partie de son œuvre s'arcboute contre le rayonnement de la latinité. Nous allons étudier, voir, suivre ce pari.

mardi 23 juin 2009

Henri Meschonnic

Un grand monsieur, quoique de physique petit et rondouillard, avec cette tête invraisemblable à la Schopenhauer, est décédé récemment. Il est devenu l'auteur d'une œuvre importante, avec un passage bien senti dans le débat autour de Heidegger où il se situait nettement dans l'opposition. Je vais relire, d'ailleurs, bientôt, son livre Le langage Heidegger, (PUF, 1990) pour amener de l'eau au moulin de ma stratégie de contournement.

J'ai repris à la bibliothèque une réédition, format poche, de son énorme livre Critique du rythme, Verdier, 1982, 740p. En hommage, je vais copier un long passage, pris presque au hasard, III, 6. Le sujet est l'individuation, pp. 94 à 96.

---Dans "L'État et le rythme", Mandelstam écrivait en 1920 : "Un homme amorphe, sans forme, un individu inorganisé est le plus grand ennemi de la société". Sans "l'organisation de l'individu", il prévoyait la menace de rester avec le collectivisme sans collectivité" (O. Mandelstam, Collected Works en 3 vol., New York, Inter-Language Literary Associates, t. 3, p. 123). C'est-à-dire sans individus. Cette analyse est politique parce qu'elle vient de la poésie. La poésie fait un révélateur de société, parce qu'un individu y est en jeu, et que là où un individu est en jeu, le social est en jeu. Ce qui ne signifie pas que tout poète est un politique. Un des possibles de la poésie est le sens de la théorie -- qui commence, dans le poète, par le sens de sa propre histoire.

---C'est pourquoi on pourrait soutenir que la société se joue aussi gravement, sinon plus, dans le rapport du poème à la société que dans la critique directe de la société. Le marxisme, la Théorie critique ont montré, par leur régionalisation des problèmes (économismes, sociologisme, politisme), leurs oscillations théoricistes-pragmatiques (fonction de leur incapacité prévisionnelle) que, comme toutes les idéologies politiques, ils continuent d'utiliser les individus pour une représentation de la société, non la société pour les individus. Au mythe des masses correspond le contre-mythe de l'individu.

---Adorno veut ainsi établir que "ce qui parle dans l'art" est "son véritabe sujet, et non celui qui le produit ou le reçoit" (Théorie esthétique, p. 222). Il ne s'agit pas simplement de ne plus le confondre avec le je biographique. Il s'agit de réduire l'individu-confondu-avec-le-sujet au social. Parce qu'en effet le sujet est social. Et que l'individu est censé être l'anti-social, l'incompatible--au lieu que la collectivité n'existe que s'il existe. Mais un romantisme de la masse y est substitué. Stratégie du pouvoir. Puisqu'on parle en son nom : Le travail de l'œuvre d'art est social à travers l'individu, sans que celui-ci ait par là conscience de la société : peut-être d'autant plus qu'il en est moins conscient". Le recours à la conscience, comme notion individualiste d'individu -- manœuvre idéologique plus qu'analyse historienne -- sont deux obstacles à une théorie du langage, et du sujet, en art. On vide l'individu de son intolérable unicité. Pourtant, l'art est l'observatoire, et le laboratoire, qui fait pus que toute pratique sociale apparaître que c'est dans l'individu que se réalise autant le sujet que le social.

---Opposer le sujet au social, ou l'individu au social, est une erreur qui coûte d'abord à la théorie esthétique, ensuite au social. Adorno écrit : "Le sujet individuel, qui toujours intervient, n'est guère plus qu'une valeur limite, qu'un élément minimal dont l'œuvre a besoin pour se cristalliser". De même, l'individu vivant n'est que l'élément minimal dont la vie a besoin pour se réaliser. Cette conception biologise le social : lui retire, et retire au sujet individuel, leur spécificité, qui est leur histoire. L'œuvre y devient une entité métaphysique, douée du plus inexplicable besoin. Le social s'y révêle un mythe, le produit d'un programme rationaliste. Mythe en ce qu'il est mobilisateur, et fait un récit de vérité révélée. L'entité du social est donc ce qui fait, presque, l'œuvre, qui est ainsi présente virtuellement avant de passer, grâce à l'auteur, a l'état final de cristallisation. Où on discerne nettement la confusion, déjà chez Marx, entre conditions sociales de production et production spécifique de l'oeuvre -- confusion porpre au sociologisme : Raphaël dans L'Idéologie allemande. Mélange de téléologie et de scolastique, qui invente un état de l'œuvre avant l'œuvre comme une entité semi-réelle. Mais cette intervention supposée est une invention pour la cause. Le sujet n'intervient pas. Le désir de le réduire, de le limiter à un "élément minimal", rend, ou laisse, à cette intervention tout le mystère qu'il s'agissait, dans ce pseudo-matérialisme, d'analyser en termes historiques. Alors que l'historicité et l'unicité de chaque vie font du sujet individuel une nécessité du social, que l'œuvre figure. Il n'est pas nécessaire d'éliminer l'auteur, pour montrer qu'il est social, historique autant qu'individuel, comme Sartre a montré pour Flaubert, dans le tome III de L'Idiot de la famille. Dans et par l'œuvre, le sujet n'est pas l'individu. Le sujet est l'individuation : le travail qui fait que le social devient l'individuel, et que l'individu peut, fragmentairement, indéfiniment, accéder au statut de sujet, qui ne peut être qu'historique, et social. Comme on accède, indéfiniment, à sa langue maternelle.

---Il est particulièrement important, pour la critique de la société, et du sujet, que les théories de la société sont incapables d'une théorie de la production littéraire et artistique. Elles montrent par cette incapacité leur incapacité d'une conception générale du sujet. Et du langage.

---Les intuitions théoriques des poètes ne désocialisent pas, au contraire, l'individu sujet auteur. Le rythme, le poète, la prophétie sont liés significativement. L'écoute du sujet est autant l'écoute du social que celle de l'histoire. Tout se passe comme si, à l'inverse des rapports de force, les politiques et les théoriciens de la politique avaient peut ;a la fois du poète et de l'individu unique -- le poète étant le représentant, le symbole de ce dernier -- alors que le poète n'a pas peur du social, qui justement l'écrase. Car il ne peut être sujet que s'il est une écoute, il ne peut être une écoute que s'il est le sens le plus fin du social."

Fin de la citation. Je remarque dans la liste des ouvrages de l'auteur, à la fin, qu'il récidive peu avant sa fin, sur le problème Heidegger. Heidegger ou le national essentialisme, Laurence Teper, 2007. À lire bientôt. Encore beaucoup de plaisir en perspective et nous en reparlerons ici.

samedi 13 juin 2009

Aphorismes immodestes

I

On accepte le philosophe encore moins que le poète, à moins qu'il ne soit bardé de diplômes universitaires. En ce cas c'est une garantie d'innocuité. Que peut dire de prégnant sur la vie un type aussi rassis ? Le poète on le sait décrit des sensations intimes qui touchent ou ne pas, mais chacun est juge suffisant. La prétention d'universalité du philosophe sauvage, pour moi le seul vrai, est absolument insupportable au genre d'erreur vitale que doit absolument défendre notre animal dégénéré en société.


II


La paresse est un péché qui empêche d'en commettre beaucoup d'autres.


III


La musique nourrit. Par contre, c'est pas trop engraissant, on peut en reprendre.


IV

L’humilité de l’artiste devant son instrument… il y a sacrifié le meilleur de sa vie ! Joies et peines du musicien.


V


En poésie, il faut la fulgurance, parce que c'est toujours la guerre en poésie (Mandelstam) et la théorie doit être aussi une critique du rythme. Il faut questionner et défier le transpersonnel.


VI


L'amour sans sexe peut être d'une grande tristesse mais le sexe sans amour est la catastrophe absolue : des bêtes s'acharnant sur leur plaisir. Le plus souvent les femmes ne sont pas très pour. C'est la contrainte et l'argent qui vient à bout de leur résistance. C'est souvent ainsi qu'elles deviennent des harpies cyniques, de vraies peaux de vache.

VII

Apprendre est un processus sans fin, mais savoir ! C'est un élément dans lequel on se retrouve tout d'un coup !

vendredi 12 juin 2009

Ironie de l'histoire

Je prends l'exemple de Hitler... encore ! Le régime nazi a perdu la course aux armements par déficience de l'innovation technologique, elle-même provoquée par la fuite des savants juifs : les cerveaux en pointe dans les domaines stratégiques, dont les débuts de la recherche sur la fission de l'atome...

Mais que serait un régime nazi sans haine des juifs ? Le racisme était réellement le dogme régnant et aveuglait aussi les dirigeants ! Ainsi, avec le recul, pourrait-on dire que l'échec ultime du projet de domination du monde était comme programmée dans l'oeuf.

Ironie involontaire. La Ruse de l'Histoire que traquait Hegel est la marche d'une grosse machine, mais délicate, subtile, très complexe, qui ne se soucie pas du détail : le bonheur des sujets, par exemple. Celui qui décide prend pire, le plus souvent.

Parce que l'entendement aux prises avec les exigences de l'action n'arrive pratiquement jamais à embrasser la foule des facteurs pertinents et à les intégrer, hiérarchiquement, dans une image du monde compréhensive et ajustée à l'entremêlement du proche et du lointain, des questions fondamentales, générales et locales, les gros détails, l'urgence première.

Le paradoxe de la Raison dans l'histoire étant que lorsque trop pressé, l'entendement ne peut se décoller pour choisir sereinement l'action, l'attitude, la trajectoire, la conduite la plus "performante"? La plus pertinente. Mais lorsque le temps de l'urgence n'est pas encore venu, le confort de la situation n'incite pas à prévoir la survenue des problèmes, donc à éviter les crises.

Maintenant, imaginons une bombe A nazie en... disons... 1943 ! Cela donne la destruction de Londres, l'occupation de l'Angleterre et le refus des Américains d'entrer en guerre pour l'Europe : ils se contenteront de sauver leurs fesses à l'est en concentrant leurs moyens sur la défense contre l'agression japonaise. Mais les deux principales puissances de l'Axe s'entendaient et ce qui devient possible, c'est l'univers alternatif imaginé par P. K. Dick dans Le maître du Haut-Château.

Un monde entièrement différent où, par exemple, il n'y a plus de problème de famine africaine parce que les populations noires ont été éliminées, une partie de l'Afrique vitrifiée. Un monde assez instable, d'ailleurs, recherchant difficilement un équilibre écologique, celui du cauchemar nazi devenu réalité.

On peut sans doute considérer que notre monde actuel est un peu meilleur, au moins parce que si les mêmes problèmes climatiques, par exemple, peuvent s'y poser, ils se produisent 40 ou 50 ans plus tard. La chance de mieux s'en sortir ? Peut-être, mais c'est encore à voir !

jeudi 11 juin 2009

Petite note sur Nietzsche et l'esprit de la musique

Nietzsche est quelqu'un qui a pris au sérieux l'esprit de la musique, surtout l'héroïsme qu'il "contient" ; mais contient, justement, dans des limites audibles... Le penseur héroïque a voulu libérer cette démesure, ce titanesque dans l'esprit de la musique et il affrontait ces forces, dans son combat avec la vie, qui était, bien sûr, combat pour la vie dans sa conception agonique, mais tout cela à ses risques et périls.

La maladie, l'infection syphilitique, était pour lui une "occasion". Infléchissant son destin et je crois en pleine connaissance de cause : pour défier le cosmos en quelque sorte, il l'a saisie cette occasion. Le Leverkuhn du roman de Mann illustre ce saut, extrêmement courageux dans l'inconnu. Il fallait sortir par un coup de force de l'atmosphère lilliputienne du XIXe siècle.

Il ne faut pas se cacher qu'il y a une part d'hystérie, là-dedans, similaire à celle que l'on retrouve dans le personnage d'un Hitler mais qui était, lui, dénué de l'affect de grandeur, en se faisant le véhicule et réceptacle du désir de vengeance de tout un peuple, incarnation, donc, de la haine presque à l'état pur.

L'hystérie de Nietzsche est angélique, elle le porte vers les hauteurs ; celle de Hitler démoniaque. Il ne faut pas oublier, dans les deux cas, le caractère de passage obligé. Retombées du traité injuste concluant la première horreur mondiale dans un cas, percée hors du philistinisme dans l'autre.

Nietzsche n'est pas un modèle de tout repos et c'est une litote de le dire. Sartre remet le dépassement à l'intérieur de l'homme en une approche certes moins poétique, plus technique ou scientifique, si l'on croit qu'il peut y avoir une telle chose qu'une science de l'homme, de l'humain et que son cœur doit être animé par une décision, un projet philosophique.

vendredi 5 juin 2009

Foucault et Sartre : lettre à un ami...

Mon cher X,

Je me relève en pleine nuit et j'ouvre au hasard un livre Dits et écrits (II, 1976-1988) de Foucault, vers le milieu et je tombe tout de suite sur ce passage, pour moi spécialement intéressant (p. 671) :

>>- Désormais on vous acclame comme le logique successeur de Sartre...
- Sartre n'a pas de successeur, exactement comme moi je n'ai pas de prédécesseurs. Son type d'intellectualisme est extrêmement rare et particulier. Et même il est incomparable. Mais ce n'est pas mon type. Moi je ne ressens aucune compatibilité avec l'existentialisme tel que l'a défini Sartre. L'homme peut avoir le contrôle complet de ses propres actions et de sa propre vie, mais il existe des forces susceptibles d'intervenir que l'on ne peut ignorer. Franchement je préfère la sensibilité intellectuelle de R. D. Laing. Dans son domaine de compétence, Laing a quelque chose à dire, et il le jette sur le papier avec clarté, esprit et imagination. Il parle en fonction de son expérience personnelle, mais il ne fait pas de prophéties. Pourquoi donc devrait-on formuler des prophéties quand celles-ci se réalisent rarement ? De la même façon j'admire Chomsky. Lui non plus ne prophétise pas mais il agit. Il s'est engagé activement dans la campagne américaine contre la guerre du Viêt-nam au sacrifice de son travail, mais dans le cadre de son métier de linguiste.
- Apparemment vous insistez beaucoup sur la vie mentale opposée à la vie physique.
- La mentale ambrasse tout. Platon ne dit-il pas plus ou moins : "Je ne suis jamais aussi actif que quand je ne fais rien" ? Bien entendu, il faisait référence aux activités intellectuelles qui exigent, sur le plan physique, guère plus, peut-être, que de se gratter la tête.<<


Extrait très intéressant pour moi car j'y vois beaucoup à dire et en fait pas mal à redire... Je me suis demandé si son exemple était mal choisi. Car Laing, justement, n'est-il pas une sorte de disciple de Sartre ? N'est-ce pas lui qui a écrit, avec l'aide de Cooper, Raison et violence -dix ans de la philosophie de Sartre, où ils résument, parfois très rigoureusement Question de méthode, Saint-Genet, comédien et martyr, et Critique de la Raison Dialectique.

Certainement Foucault connaît ce livre, qui est une sorte d'introduction à la pensée sartrienne assez bien fait mais à l'usage des collégiens. Alors Foucault cherche à détacher en quelque sorte Sartre de sa sphère d'influence, pour affaiblir le rayonnement peut-être un peu sec ou aveuglant de cet encombrant et formidable rival. Il faut déconnecter le dialecticien aux livres massifs et donc difficiles d'approche de la prétention de la psychanalyse existentielle de faire des petits et de s'emparer activement de ce domaine d'expérience.

C'est dans cette conversation un peu à distance (avec un photographe américain) et à bâtons rompus*, la trace d'une rivalité non pas seulement mimétique mais aussi, rivalité proprement intellectuelle et de prestige, de capital symbolique, dirait le sociologue Bourdieu (lui-même fortement influencé de sartrisme) dans le champ intellectuel philosophique. La double traduction amène un certain flou : Foucault parle en anglais à un américain, la conversation est traduite en italien avec des erreurs, de noms, de lieu, de concepts ?

Juste avant le passage déjà cité, Bauer lui tend la perche :

>>- Non seulement critique, vous êtes, en outre, un rebelle.
- Mais pas un rebelle actif. Je n'ai jamais défilé avec les étudiants et les travailleurs comme le fit Sartre. Je crois que la meilleure forme de protestation est le silence, la totale abstention. Pendant longtemps, je ne suis pas arrivé à supporter les airs que se donnaient certains intellectuels français qui flottaient au-dessus de leur tête comme les auréoles sur certains tableaux de Raphaël. C'est pourquoi j'ai abandonné le France. Je suis parti dans un exil total et merveilleux, d'abord en Suède, ou j'ai enseigné à l'université d'Uppsala, puis, tout à fait à l'opposé, en Tunisie, où j'ai habité Sidi-Bou-Saïd. De cette lumière méditerranéenne on peut dire sans aucun doute qu'elle accentue la perception des valeurs. En Afrique du Nord, chacun est pris pour ce qu'il vaut. Chacun doit s'affirmer par ce qu'il dit et fait, non par ce qu'il a fait ou par sa renommée. Personne ne fait un bond quand on dit "Sartre".<<


Camus disait la même chose sur la clarté méditerranéenne. Ce qui frappe dans l'ensemble, c'est l'obsession de l'omniprésence de Sartre, jusque dans l'insupportable posture de ses imitateurs et contrefacteurs. Il est allé jusqu'à fuir la France pour échapper à ce climat particulier de l'hégémonie existentialiste!, où un rapport trop collé de la théorie à la pratique ne laissait pas assez de place aux nuances, aux études circonstanciées, dans lesquelles, justement son génie propre le versait.

Et le prophétisme, l'anathème du "destin historique", le pathos décrétatoire des vérités ultimes, genre : "Le marxisme est la philosophie indépassable de notre temps, parce que les conditions qui l'ont engendré n'ont pas été dépassées"... laissent en effet songeur aujourd'hui, on comprend l'agacement, presque sensation d'étouffement d'un jeune philosophe créatif, mais au cerveau puissant autant que minutieux : la carrière qui est donnée au détective astucieux alors que presque tout le monde des chercheurs néglige systématiquement les trésors, mais trop copieux!, déposés dans les archives !

Moi je me dis, avec la distance et de mon point de vue qui peut être aussi assez particulier, que Sartre et Foucault se complètent, ils ne se contredisent pas. Ils ont tenté tous les deux dans leur vie, mais chacun à sa manière personnelle, de se libérer d'un carcan institutionnel assez insensé finalement, pour vivre à leur goût et réaliser les œuvres auxquelles les engageait leur grand talent. Talent divers, d'érudition et de pensée, dans la précision critique et micropolitique, pourrait-on dire, ou dans la hauteur de vue et les vastes synthèses, macro et métapolitique.

La métaphysique humaniste de Sartre est un guide dont tout le travail de Foucault n'a pas réussi à le dégager, parce que sur la plupart des grandes questions ces grands penseurs furent fondamentalement d'accord. À moins que je ne me trompe. Alors, dis-moi, Jean-Marc, où je confonds et où je fais erreur. La carte est dressée ; globale, l'autre précise la topographie, l'architecture de certains secteurs, par les champs, petites et grandes villes notamment.

Hier, Obama, dans son grand discours, à choisi de ne pas faire tout un plat, dans l'état des choses et des négociations avec la Chine, de l'anniversaire (20e) du massacre de la place T'ien-an-Men. Il développe, dit-on, une nouvelle politique de l'empathie, pour guérir les blessures de l'histoire et se tourner vers la tâche de construire le monde que nous voulons, dans l'innocence du devenir. Quelle excellente formulation de Nietzsche ! Qui ne souhaite pas que "cela" marche !?
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* Cet article parut dans la revue Playmen, 12e année, no. 10, octobre 1978, pp. 21-23, 26, 29-30, sous le titre "M. Foucault. Conversazione senza complessi con il filosofo che analizza le 'strutture del potere' (M. Foucault. Conversation sans complexes avec le philosophe qui analyse les 'structures du pouvoir'; entretien avec J. Bauer ; trad. it. A. Ghizzardi)

mercredi 3 juin 2009

Les Places, ma place sur Terre : environnement proche et "Millenium... le film" !

J'ai un peu négligé cette publication... c'est que j'en ai d'autres qui ont récemment requis une sorte de priorité. Mais je sais que je puis revenir à celui-ci ad libitum. C'est une expression latine et c'est pourquoi je la mets, à propos, en caractères italiques. Mais l'humeur est encore confuse, ces jours-ci : je n'ai toujours pas digéré cet autre printemps (poé)problé(matique)... Il me colle à la peau sous forme d'irrésolution.

J'attends je ne sais quoi mais il y a quand même des impulsions qui proviennent du dehors. L'on a ces jours-ci détruit les immeubles autour de celui que j'habite. Le champ de vision s'est éclairci mais quand je me penche à ma fenêtre je vois l'amoncèlement des gravats.

J'aime bien aussi avoir vue plus directe sur l'autoroute des Laurentides, la 15 qui passe maintenant plus clairement juste sous ma grande fenêtre du salon, on dirait. Excitation, appel du mouvement. Rappel et encore plus clair de l'impermanence de toutes choses, mais aussi appel des prochaines perspectives, quand j'habiterai dans la tour, un des futurs immeubles qui seront construits et où j'aurai ma place, le champ de vision sera tourné vers le nord ou le sud (les deux dans le cas d'un logement traversant !), l'est ou l'ouest ?

C'est à voir mais prochainement : le temps passe vite ! Jean-Marc a commencé à contribuer à mon blog "Prégnances immanentes" mais déjà son commentaire me suggère de modifier le nom... Oh! à peine! Une seule lettre et qui pourrait satisfaire son exigence de rigueur : cela deviendrait "Prégnances imminentes", en accord, si j'ai bien compris, avec l'ontologie heideggerienne. Voilà un autre facteur accélérant et de taille !

Puis je suis allé voir hier, mardi, jour des spéciaux (à 5$ le film dans la chaîne Guzzo) Millénium, le film, version française du film suédois. J'en suis ressorti enchanté, et avec le goût de me faire encore plus plaisir. Si bien que je suis arrêté, en vélo, à la succursale dépôt de la SAQ -Dépôt, au Marché Central où j'étais déjà. J'en suis revenu vers 19 heures, avant le match #3 de la finale Pittsburgh - Détroit, avec un contenant plastique de 1,75 litres de whisky écossais, soit scotch... et dont j'ai quelque peu abusé par la suite.

La soirée s'est écoulée comme au ralenti mais je me réveille poisseux et ne réussis à refaire véritablement surface qu'en après-midi. Je me sens maintenant fébrile de l'effet du café mais j'ai correctement inauguré ma collaboration, sur mon blog ci-dessus nommé avec l'ami Jean-Marc, qui fait sentir, cependant la pression de son exigence.

Ce que je retiens de l'extase dans laquelle m'a plongé, tout à fait ravi, la jouissance de ce film, gros de toute cette intense lecture encore assez récente (les trois gros tomes en huit jours, lors de la seconde semaine de janvier) c'est que le meilleur enseignement est celui d'une enquête minutieuse et technique mais guidée par une compréhension emphatique, voire amoureuse du "sujet" qui est l'objet de l'enquête. Harriet assassinée est en fait disparue, à fui à l'autre bout du monde après avoir tenté d'avertir le patriarche de la folie assassine du frère (père de Harriet) et du fils.

Blomqvist se passionne pour l'enquête et avec l'aide de Lisbeth, il parvient à retrouver la "victime" ! Salander, de son côté l'aide à retrouver une série des victimes parce qu'elle se met à leur place, ayant eu à souffrir et voyant sa mère souffrir d'un père psychopathe (qui se révélera, dans la suite de la trilogie un agent double soviétique ayant fait défection et retourné sa veste pour collaborer avec les services suédois, trop contents de leur "prise" pour lui refuser aucun de ses moindres caprices, mêmes quand ceux-ci, criminels, impliquaient la torture et le meurtre. À commencer la la relation sado-masochiste de la mère de Lisbeth.

Celle-ci tranche par son attitude rigoureuse ou rigide : elle n'a pas la moindre pitié ni compassion pour les bourreaux. Elle laisse "cramer" Martin, le fils et sérial killer démasqué dans sa voiture accidentée, dans le ravin. Elle est l'héroïne attachante parce qu'elle personnifie le courage nécessaire de celles qui refusent le rôle de victimes : elle rend coup pour coup et se fait même à l'occasion l'ange exécutoire d'une sorte de justice. Les deux autres tomes de la trilogie seront portés à l'écran sous forme de série télévisée et je prédis bien sûr un énorme succès. Lisbeth dit, elle aussi, que nous sommes responsables de ce que nous choisissons d'être. C'est pourquoi elle n'excuse pas les assassins sadiques. Et elle, tue pour se défendre, lorsque contrainte.

La série marquant le tome II sera pleine de rebondissements, coup de théâtre, elle meurt, pour renaître en quelque sorte mais à grand-peine. Pénible internement, son procès et le dénouement seront passionnant à suivre. Blomqvist est le héros traditionnel, le chevalier blanc, un peu débonnaire. Il collaborera efficacement et la gloire retombera sur lui. Elle est l'ange terrible de la vengeance, inflexible comme d'un courroux surnaturel. L'exposition de son cas mettra à nu les rouages les moins glorieux de l'État suédois, dans ses aspects du pouvoir clandestins des polices secrètes qui agissent comme si elles se situaient au-dessus des lois.

Le destin si particulier de Lisbeth est la rencontre du drame le plus personnel, intime, avec la mise en question, lourde, cérémonieuse, des grands ensembles : la froide monstruosité des mécanismes de l'État, soi-disant providence. Les monstres foisonnes et le salut exige beaucoup de travail. Voilà ce que je retiens de ce film, mais nourri de la lecture (anticipant sur le suite) des livres !

J'ai à savoir que l'esthétique "trash" ne constitue pas un alibi à toutes épreuves. Et puis des sollicitations instantes font que je devrai, dès demain je crois, ou prochainement, tenter une sortie. J'ai reçu deux appels déjà du réseau des bibliothèques de la ville de Montréal et j'ai appelé aujourd'hui, puisque je ne pouvais accéder à mon compte via internet (oubli du mot de passe) et j'ai pu vérifier que c'est la fameuse Lettre sur l'humanisme, de Heidegger, qui est porté manquante. Je l'avais déposée à la grande bibliothèque mais pas en même temps que l'autre livre emprunté à l'île Bizard, le Chomsky récent : L'Ivresse du pouvoir (2008). Celui-ci est décrit comme en transit, sur le site internet du réseau des bibliothèques montréalaises accessible au public.

Mais le livre essentiel semble introuvable : j'ai cherché, je ne l'ai pas avec moi et je me souviens l'avoir déposé en vitesse juste avant d'aller voir le film Star Treck vendredi soir au Cinéma du Quartier Latin. Me voilà donc bien embêté. Il va falloir que je vérifie avec la grande bibliothèque pour retracer l'erreur et si on ne le retrouve pas je devrai payer pour le remplacement du document. Cela peut aller presque aussi cher que la bouteille de scotch...

Quelques emmerdements en perspective, donc, mais cela demeure pour la bonne cause de l'exact maniement des livres. Je suis un vil lecteur mais tout espoir n'est pas perdu. Je ne suis plus seul dans l'univers et même mon monde, quelque part, communique !

Côté micro-climat et avant les soirs d'été il fait déjà trop chaud chez moi. C'est que le brassement des poussières du chantier de démolition me prévient d'ouvrir les fenêtres le jour. J'arrive à rafraîchir le soir et c'est encore une chance ! Je souffre plus régulièrement de la chaleur que de quoique ce soit d'autre, à part peut-être de nostalgie ou autre forme de privation d'amour. Sentiment diffus de manque qui selon certains nous fait vivre ! Je dirais plutôt qui nous provoque à l'alerte de cette blessure ouverte qu'est, aujourd'hui surtout, dans l'époque, la conscience.

Alors que le soir tombe, que la lumière naturelle se retire, l'obscurité grandit de partout et je dois consentir à tourner le commutateur pour faire jaillir un peu de lumière, artificielle. Car je vis souvent de nuit cette sorte d'existence comme larvaire ou quelque peur parasitaire. Je me suis dit que je ne voulais plus écrire pour me déprimer encore plus. Mais cela n'exclut pas les gestes nécessaires dictés par un reste de lucidité.

Occident, lieu du couchant, en allemand, tombée de la nuit... mais quelle heure est-il, à l'horloge du monde ? Et quelle heure encore à l'horloge cosmique ?

Nous ne connaissons pas, peut-être jamais mais pas encore l'heure galactique qu'on nous montre dans Star Treck. I hope to live long et wish you to prosper.

Salut en "V", puis salut tout court.