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Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

mercredi 17 mars 2010

La Chine m'inquiète --Jean-Luc Domenach, Éd. Perrin, coll. Asies

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Les nouveaux fondements du régime

La sortie du totalitarisme - Une recette chinoise : l'autoritarisme relâché - Naissance d'une opinion publique ? - Au pays des micro-climats - Les serfs sont devenus des individus ! - Une nouvelle lutte des classes ? - La classe plouto-bureaucratique - L'énigme centrale de la Chine post-maoïste

La sortie du totalitarisme

Contrairement à des stéréotypes bien établis, le régime politique chinois s'est à la fois renouvelé et consolidé : il y paraît peu probable que de graves difficultés y trouvent naissance. Le fait essentiel est la sortie, non pas du communisme, mais du communisme totalitaire : le pays demeure certes dirigé de façon dictatoriale par un Parti communiste, mais cette dictature ne se donne pas autant de pouvoir sur les homes et sur les choses qu'autrefois le régime maoïste.
La manière dont Deng a sauvé le régime que les délires maoïstes avait plongé dans la désordre et l'inefficacité est aujourd'hui connue. Une fois revenu au pouvoir en décembre 1978, il a immédiatement promis de concentrer ses effort sur une croissance concrète, et pris de premières mesures en faveur des revenus. Pour consolider la confiance que son prestige lui valait, il a d'emblée supprimé les aspects les moins supportable du totalitarisme maoïste et libéré de nombreux prisonniers politiques. Puis, dans les années 1980, tout en réaffirmant le monopole politique du PCC, il a institutionnalisé le régime, décentralisé l'économie, démantelé les communes populaires et autorisé l'émergence d'un secteur on étatique. Cette transition graduelle a paru menacée par les événements tragiques de Tian'an-men en 1989. Mais, au lieu de se laisser emprisonner politiquement par la répression sanglante qu'il avait ordonné, Deng a su en profiter pour accélérer les réformes économiques et l'ouverture sur le monde sans que quiconque dans le PCC puisse craindre que les "ennemis de classe" en tirent profit.
Deng accordait la priorité au développement économique dans le but de sauver le régime communiste et de l'inscrire dans la durée. Mais, pour remettre au travail la population, il fallait mettre fin à son étouffement. Le passage du totalitarisme à ce que l'universitaire américain Minxin Pei appelle une "autocratie développementale" a donc entraîné une transition de la terreur de masse à une répression de plus en plus sélective et à un contrôle plus souple.(1) Après trois décennies, les résultats sont considérables.
Les prisons et les camps de travail n'abritent aujourd'hui qu'une faible minorité de prisonniers politiques -probablement quelques milliers : autant de trop, certes, mais cela ne place plus la Chine parmi les leaders mondiaux de la répression. Le goulag chinois n'a pas été démantelé et la situation varie suivant les lieux entre le très mauvais, le mauvais et le presque correct, mais l'arbitraire recule et l'espace d'application de la législation officielle s'élargit.
(...)
Le changement fondamental est que le Parti communiste a abandonné toute ambition de transformation globale. Les campagnes de masse se sont espacées et affaiblies, le quadrillage de la population s'est relâché et la surveillance de la vie privée a été abolie en milieu urbain. C'est ainsi que le premier octobre 2003 a été supprimé à Pékin (après la plupart des autres villes), dans l'indifférence de presque toute la presse étrangère, un ressort essentiel du totalitarisme : l'obligation pour les candidats au mariage de présenter un certificat de bonne conduite dressé par leur unité, qui assurait aux comités du Parti un pouvoir sur la vie privée -- de fait, les mutations de l'habitat et de l'organisation économique en réduisaient de plus en plus l'application. Peu après, tous les citadins ont reçu le droit à un passeport sans certificat préalable de la police ou de l'employeur. Ces deux mesures ont symbolisé la sortie définitive du système totalitaire.
Mais cette évolution positive n'a pas empêché une augmentation massive des violations des droits sociaux qui est due à l'importance nouvelle de l'économie et donc de l'argent pour les cadres communistes.
La situation difficile des femmes chinoises est en effet largement due au fait qu'elles sont l'objet de commerces de toutes sortes. Cette situation est très mal connue à l'étranger car elle est peu apparente et souvent niée en Chine, y compris par les intéressées. Pourtant, ce pays est à la fois l'un des rares où les femmes se suicident en plus grand nombre que les hommes, où la proportion de femmes parmi les responsables de toute catégorie est la plus faible et où les ouvrières subissent la domination la plus brutale(2). Cette situation est entretenue à la fois par les habitudes prises avant le communisme, par les "novations" de l'ère maoïste (qui n'a libéré la femme que comme travailleuse) et par la "marchandisation" récente du sexe féminin. Mais il est certain que les autorités publiques, surtout dans les villages, portent une très lourde responsabilité en la matière.
En outre, c'est en tant que travailleur que le citoyen chinois est aujourd'hui le plus mal traité. Malgré la campagne de presse organisée durant l'été 2007 par les autorités et la publication des peines qui ont été infligées aux entreprises, rares sont celles qui respectaient alors la législation officielle. Quatre entreprises sur cinq ne signaient pas de contrats de travail avec leurs employés avant qu'une loi ne fût adoptée, applicable en janvier 2008 -- mais les entreprises s'emploient d'ores et déjà à la tourner : du moins sont-elles désormais dénoncées par la presse. L'irrespect de la législation contribue à expliquer le nombre incroyable des accidents du travail -- 127 000 décès en 2005 -- et le mécontentement ouvrier qui règne dans plusieurs secteurs industriels, en particulier celui des mines : en de nombreux endroits, particulièrement au Shanxi, les fonctionnaires locaux investissent à titre privé dans des mines de charbon illégales où les accidents sont fréquents et meurtriers. Cependant, les employés osent rarement s'organiser car ils sont surveillés par des nervis au service des patrons. Les entreprises s'arrogent en effet souvent des pouvoirs de police (...). Les travailleurs migrants sont soumis à des traitements autoritaires, voire à des formes d'esclavage, ainsi que l'ont montré plusieurs scandales en 2007. Dans tous ces cas, les entreprises bénéficient de la complicité des autorités locales.

Une recette chinoise : l'autoritarisme relâché

De la période maoïste, il reste certes quelques traits inimitables. Ainsi kes dirigeants logent-ils dans le même parc impérial qu'avaient occupé Mao Zedong et ses compagnons en 1949, à deux pas de la Cité interdite. Seuls de rares visiteurs y sont admis et les plus hauts responsables n'accordent jamais d'interviews. Et pourtant, le régime a réduit ses objectifs politiques -- il promet que la Chine restera plus de cinquante ans dans la "phase primaire du socialisme". Le principe de nationalisation du sol a perdu de sa substance en ville, où l'on est en principe propriétaire pour soixante-dix ans. De plus, les autorités ont décollectivisé toute la production agricole et dénationalisé, pour plus de la moitié de leur production, les autres branches d'activité -- en conservant bien sûr la domination des secteurs essentiels et la maîtrise indirecte de l'ensemble de l'économie...
Le contrôle politique sur le corps social n'a pas disparu, mais il s'est relâché. Sont encore réprimés les activités d'opposition, son les opinions individuelles, lesquelles circulent librement dans l'espace familiale et, avec quelques précautions, dans le cercle des amis et des collègues. Il en va autrement de la publication des opinions non conformes. Le contrôle du cinéma, de l'édition et de l'information est constant et sophistiqué, quoique beaucoup moins étroit que par le passé. Chaque projet de film doit être soumis à l'avance aux autorités ; seuls vingt films étrangers par an reçoivent une autorisation de diffusion, mais la censure est moins dure dans l'ensemble. L'édition, elle, est beaucoup plus diverse et ouverte à la littérature étrangère, En 2005, plus de deux cent mille nouveaux titres ont été publiés, soit une progression globale de 6,8% - et de 20% dans les sciences humaines et sociales. De plus en plus de livres contribuent à la mémoire de la Chine ancienne et à celle des héros fondateurs du régime mais aussi au souvenir des souffrances récentes, et en particulier des tragédies familiales(3).
De même, le régime maintient un contrôle de l'information solide et le concentre sur un certain nombre de secteurs stratégiques : les titres de première page, les éditoriaux et les journaux télévisés -- tous les mêmes ! Ce contrôle est si puissant et si omniprésent qu'il ne nécessite généralement pas de mesures répressives. Les emprisonnements de journalistes que dénoncent les organisations de défense des droits de l'homme -- et qui touchent une trentaine des cinq cent cinquante mille journalistes chinois -- sont en général des règlements de comptes commandités par des mafias locales. De fait, la presse critique de plus en plus souvent les erreurs des autorités provinciales : ainsi a-t-on vu à l'automne 2006 celles du Fujian laisser éclater leur colère contre l'agence Chine Nouvelle pour ses reportages jugés négatifs sur la façon dont elles avaient dirigé la lutte contre de graves inondations.
En outre, le contrôle de la presse fonctionne dans chaque organe à travers des circuits hiérarchiques qui laissent leur place aux rivalités de personnes, aux désaccords professionnels et aux nuances éditoriales. Si donc l'information est en général biaisée, c'est de façon inégale. Elle laisse percer des fragments de vérité qui permettent aux lecteurs ou aux auditeurs de se former un jugement (...).
Il arrive même de plus en plus souvent que le pouvoir central trouve avantage à la révélation de certains scandales locaux. Ainsi, en janvier 200, c'est un quotidien du Sichuan qui a révélé le scandale du sang contaminé au Henan et, dans l'été 2007, des journalistes ont "sorti" une affaire d'esclavage industriel. Mais la liberté ainsi concédée est réduite et transitoire. (...)
Les nouveaux moyens d'information sont bien plus difficiles à contrôler. Récemment, à Davos, le PDG de China Mobile révélait ingénument qu'il fournit aux autorités toutes les informations qu'elles demandent sur ses clients. On sait par ailleurs que la propagande officielle peut dans beaucoup d'endroits être automatiquement diffusée sur les téléphones portables. Mais il paraît tout de même difficile de surveiller les SMS et les conversations des six cent millions d'usagers, et l'expérience prouve que de nombreuses protestations populaires sont organisées grâce aux téléphones portables(4).
Il en est de même pour internet, dont les usagers sont environ quatre cent millions. Sans doute les autorités se sont-elles dotées, a l'intérieur du bureau d'information du Conseil des affaires de l'Etat, de remarquables équipes techniques qui ont été capables en octobre 2007, durant quelques heures, de bloquer les moteurs de recherche américains de Google, Yahoo et Live pour réexpédier automatiquement les internautes sur le site du moteur chinois Baidu. Mais les manœuvres de ces derniers sont adroites et sans cesse renouvelées. Les campagnes de répression n'en sont que plus brutales : fermetures de cybercafés, destruction de certains sites ou d'adresse électroniques, descentes de police... Les protestation internationales contre les tentatives récurrentes du pouvoir chinois d'affirmer son contrôle et d'intimider les sites étrangers ne doivent pas cacher, cependant, que la Toile chinoise est devenue une extraordinaire fenêtre sur le monde en même temps qu'une vraie plate-forme d'opinion.
Sur cette scène mouvant et multiple se préparent sans doute les grandes mutations de l'avenir. D'après une enquête récente, 53% des internautes chinois estiment s'y exprimer plus librement que dans la vie réelle et 50% reconnaissent que l'usage d'internet a modifié leur personnalité(5). Les autorités le savent et s'inquiètent des mutations souterraines de l'état d'esprit populaire. C'est sans doute à ce phénomène que Hu Jintao faisait allusion quand il s'est plaint dans son rapport au XVIIe congrès du PCC en octobre 2007 que "nos succès... ne répondent pas toujours aux attentes du peuple... les gens sont aujourd'hui plus indépendants, plus sélectifs et plus changeants.".
Comme ailleurs, donc, internet est en Chine un espace d'information et de socialisation, mais aussi de circulation des opinion. Des mobilisations spontanées s'y produisent, soit sur les inquiétudes sociales du moment (par exemple le coût des logements dans l'été 2007), soit très souvent sur des thèmes nationalistes (...). Le courrier électronique permet aussi la constitution de listes d'interlocuteurs qui sont autant d'amorces d'associations : j'en témoigne, pour avoir été membre de plusieurs d'entre elles, dont les animateurs sont surveillés, certes, mais n'ont jusqu'à présent pas été sérieusement inquiétés. Les blogs se multiplient et la plupart de leurs auteurs parviennent à rester anonymes. Au total, ce sont des masses d'informations qui circulent par ces canaux. Face à ces phénomènes massifs, l'arrestation d'une cinquantaine de cyberdissidents est un fait scandaleux mais secondaire.


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1. Cf. Mixin Pei, China's Trapped Transition, the Limits of Developmental Autocracy
2. Cf. Pun Ngai, Made in China : Women Factory Workers in a Global Workplace, Hong Kong, Durham et Londres, Hong Kong University Press et Duke University Press, 2005.
3. Elles sont admirablement restituées dans la revue Lao Zhaopian ("Vieilles photos"), que l'on trouve dans toutes les bonnes librairies chinoises.
4. AFP, Pékin 27 janvier 2008.
5. Aujourd'hui la Chine, 27 novembre 2007.

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