Pages

Littérature pour conjurer le trouble, le vertige de cette explosion ! oui !! virtuellement infinie d'images, (nous sommes tous des crapules) pour retrouver un fil conducteur (Ariane!--Au secours !!) dans ce labyrinthe de nos défaites. Que la fête à venir ne soit pas pour oublier le mal mais pour illustrer nos victoires ! ... P.S. : Je vous aime !

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Rimbaud, Arthur

mardi 16 mars 2010

Sagesses chinoises II

La culture chinoise demain ?

Après les guerre de l'Opium, des générations de défenseurs chinois de la culture chinoise ont lutté pour résister aux vagues déferlantes de l'influence culturelle occidentale. Résistance que fortifiait la légitimité patriotique ru refus de céder à la force par laquelle l'Occident prétendait dicter ses vues, la diplomatie de la canonnière à l'appui. Du jour où, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, colonialisme et semi-colonialisme ont été liquidés, tant dans leur forme native que dans leur succédané japonais, c'est de son propre mouvement que la Chine s'est lancée à corps perdu dans l'occidentalisation, mais en optant alors pour ce qui, aux yeux des révolutionnaires chinois, apparaissait comme l'aboutissement le plus avancé de la culture occidentale : le communisme soviétique.

Refusant net de verser dans l'anticommunisme, les partisans les plus fervents du renouveau du confucianisme cessèrent du cop de s'opposer à l'antitraditionalisme : Xiong Shili (1884-1968), Liang Shuming (1893-1988), Feng Yulan (1895-1990) crurent voir dans les communes populaires une renaissance du communautarisme traditionnel. Mao Zedong ne prétendait-il pas adapter le marxisme à ce que la tradition chinoise comportant de meilleur ? Si quelque équivoque a peut-être été temporairement entretenue, par exemple par les références classiques dont Mao émaillait ses discours et par son goût de la calligraphie, la Révolution culturelle a brutalement déchiré le voile d'ambiguïtés qui pouvait cacher ce que le maoïsme recélait de radicalement réfractaire à toute culture, en détruisant tout ce qu'il était possible de détruire du patrimoine culturel chinois.

Une sous-culture internationale

Aujourd'hui, tandis que cette destruction paraît irrémédiable et que, d'autre part, le reste de formalisme marxiste-léniniste maintenu en façade par la régime a partout perdu toute crédibilité, plus rien ne fait obstacle à l'idéologie capitaliste dont on assiste à l'inexorable montée en Chine comme sur le reste de la planète.

Mais il ne faudrait pas confondre la culture occidentale avec l'idéologie capitaliste. Celle-ci n'est guère que l'écume de la civilisation industrielle -- écume malheureusement acide qui corrode toute culture authentique, à commencer par celle même de l'Occident. Ce qui est menacé, ce n'est pas simplement la culture chinoise, ce sont toutes les cultures du monde, y compris la culture occidentale, partout dénaturées en une unique sous-culture pétrie d'une même bouillie télévisuelle, relevée se star-system et sucrée de publicité euphorisante, que sécrète un idéologie du productivisme effréné, de la surconsommation et de la mercantilisation de tous les rapports humains.

Il est vrai qu'il y a toujours eu partout des sous-cultures. Sous-littératures, sous-peintures, sous-musiques... Ce qui distingue cependant le phénomène actuel, c'est que, fabriquée industriellement, notamment par les multinationales de médias, il n'y a plus qu'une seule sous-culture, uniforme sur toute la planète, d'une épaisseur de plus en plus étouffante. Qu'il suffise d'évoquer l'invasion de la Chine, patrie d'une des plus grandes traditions de l'art des jardins, par la pseudo-architecture paysagiste à finalité purement commerciale des parcs d'attractions qui se répandent sur toute la planète. Dans la province de Canton, entre autres à Shenzhen, près de Hong Kong, un Splendid China Park réunit une mini-Grande Muraille et des répliques en miniature de toues les types de villages de la Chine, han et non-han, cependant que, non loin de là, le Window of the World Park, qui reçoit de six mille â dix mille visiteurs par jour, présente à ceux-ci la tour Eiffel, les Pyramides, le mont Fuji et les chutes du Niagara.

Ce qui menace les cultures dans la richesse de leur diversité n'est assurément pas le rayonnement des grandes œuvres étrangères, qui stimulent au contraire l'originalité créatrice par-dessus les barrières culturelles et linguistiques. N'est-ce pas chez Gogol et Maupassant que le plus grand et le plus chinois des écrivains de la Chie d'après le mouvement du 4-Mai, Lu Xun, a trouvé l'inspiration de ses nouvelles inimitables ? Et dans l'autre sens, d'où vient le souffle du Soulier de satin ou du théâtre de Brecht, sinon du théâtre chinois ?

La véritable menace est celle de la pollution, de plus en plus épaisse sur toute la planète, des ersatz commerciaux de la culture qui étouffent l'authenticité.

Vers un renouveau culturel ?

La culture chinoise, plurimillénaire mais atteinte jusqu'au tréfonds par les séismes successifs d'une révolution à multiples rebondissements, pourra-t-elle triompher de l'asphyxie ? On peut l'espérer, si du moins l'esprit de création n'a pas à continuer de subir la formidable pression politique que lui inflige la régime. N'A-t-il par suffi de la réapparition d'un minimum d'espace de liberté d'expression personnelle, dans la faille que provoquait au sei du totalitarisme la crise latente de l'idéologie officielle, pour que se rouvrent les voies d'une rénovation culturelle créatrice ?

Dans le domaine littéraire, A. Cheng (Le joueur d'échecs) et Mo Yan (Le chant du sorgho rouge) ne retrouvent-ils pas l'esprit de création grâce auquel, dans l'entre-deux guerres, Lu Xun, Lao She ou Ba Jin avaient été les refondateurs d'une nouvelle littérature chinoise ?

Dans le domaine si spécifiquement occidental du cinéma, n'a-t-on pas pu assister, à la fin des années 80, dans les studios de Xi'an, à l'éclosion d'un cinéma d'auteur profondément chinois, avec des films comme La Terre jaune (1984), de Chen Kaige, ou Le Sorgho rouge, de Zhang Yimou (Ours d'or du festival de Berlin 1988), adaptation du roman de Mo Yan ?

Dans le domaine de la peinture, ne peut-on reconnaître une remarquable renaissance de la culture zen, bien plus significative que tout ce qui se manigeste au Japon (où le zen est resté pris au piège duconformisme de son propre anticonformisme), dans certaines tendances sarcastiquement contestataires de la jeune école des années 90, que ce soit chez Fang Kijun, dans la déformation grotesque des portraits prolétariens, ou chez Wang Guangyi, dans l'afficahge dérisoire d'images publicitaires au-dessus des scènes de la Révolution culturelle ? N'est-ce pas le même esprit retrouvé du zen qui donne un ton bien plus chinois qu'américain au rock vitriolique du chanteur Cui Jian ?

En tout cas, si en Chine finit par s'ouvrir, grâce à la mutation en valeurs politiques des valeurs purement sociales traditionnelles, un véritable espace de libertés publiques, ce sera certainement bien moins sous l'effet des protestations hypocrites de l'Occident en faveur des droits de l'homme -- un Occident qui a oublié qu'il a, pendant plus d'un siècle après l'installation à Canton de la Compagnie des Indes, obligé les Chinois a consommer de l'opium (que la géographie d'Élisée Reclus signale comme la première importation en valeur du port de Tianjin encore en 1911)-- que par le travail de l'opinion qui s'opère en profondeur à partir de ces foyers de vrai renouveau de la culture chinoise.

Jean de Miribel et Léon Vandermeersch Sagesses chinoises, Dominos, Flammarion, 1997, pp. 107 à 118.

Aucun commentaire: